SELON QUE VOUS SEREZ PUISSANT OU MISÉRABLE,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. (Les Animaux malades de la peste de Jean de La Fontaine)
---------------o---------------
Contrôle fiscal ! Ces deux mots ont un terrible pouvoir, celui de vous gâcher journées et nuits. Les plus scrupuleux, qu’ils soient simples contribuables ou bien encore honnêtes commerçants, personne ne peut ne pas avoir une sorte de frisson en les entendant.
Pour ces « petites gens », comme vous et moi, rien ne sera laissé au hasard et tout sera épluché jusqu’à ce qu’une interprétation litigieuse, mais faite en toute honnêteté, ou qu’un simple oubli, débouche sur une crucifixion fiscale et un redressement à la hauteur du sacrilège.
Pourtant, certains peuvent en toute tranquillité franchir la ligne blanche, jaune, ou rouge, sans qu’aucune sanction puisse venir modifier leur rythme cardiaque et encore moins troubler leur activité.
Rien ne vaut quelques exemples tirés de situations vécues.
Le calvaire des « petites gens » ne nécessite pas que je m’appesantisse sur les affres administratives et juridiques qu’ils traversent. Ceux qui liront ceci pourront venir témoigner mais tout un chacun connaît cette « maison qui rend fou », ou, s’il ne la connaît pas qu’il s’y prépare. Faire valoir son bon droit nécessite énormément de patience et de recherche dans un volume de normes juridiques et fiscales de plus en plus volumineux. Quelques chiffres pour vous faire peur.
En mai 2024, le Secrétariat général du Gouvernement recensait 95 838 articles législatifs et 258 385 articles réglementaires pour les Codes existant. Pour la partie fiscale, le Code général des impôts est passé de 2326 articles et 561 440 mots en 2008, à 2487 articles et 805 769 mots en 2024. Son apparente stabilité, en termes de nombre d’articles, masque le quasi doublement du contenu moyen de ces articles, ce qui témoigne d’une restructuration de façade qui cache une complexité de plus en plus grande et une cohérence de plus en plus fragile.
Si le lecteur souhaite avoir quelques exemples de cette fragilité il lui suffira de parcourir quelques-uns des papiers que j’ai publiés ici. Ce sont soit des articles touchant aux normes elles-mêmes, soit des papiers commentant des arrêts de tribunaux, démontrant au passage que la justice elle-même nage dans cet océan de normes sans comprendre où se trouve le rivage salvateur et rend des décisions totalement ineptes.
Dès lors comment les « petites gens » peuvent-elles faire valoir leur droit ?
Mais il y a les autres. Eux, n’ont aucun problème puisqu’ils sont intouchables. J’ai donné, dans deux articles publiés ici, deux exemples.
Le premier est celui de la Monnaie autrichienne qui commercialise des pièces en or en franchise de TVA alors que ces pièces ne sont absolument pas éligibles à cette franchise (voir la définition de l’or d’investissement).
Le deuxième exemple est celui des normes dont la République fédérale d’Allemagne s’est dotée concernant la TVA pour l’importation et la commercialisation des monnaies en argent. Ces normes contreviennent à plusieurs articles de la Directive TVA de 2006.
S’agissant de la Monnaie autrichienne, en mars 2014 j’avais questionné la direction de l’entreprise sur l’existence d’une éventuelle exemption dont auraient pu bénéficier les pièces copiant d’anciennes monnaies démonétisées et commercialisées de nos jours.
La réponse qui m’a été faite cite in extenso la définition de la Directive européenne sur l’or d’investissement et le rédacteur de conclure : « Mais toutes les pièces mentionnées, comme les ducats, les couronnes et les gulden [florin], ont eu cours légal dans l’Empire austro-hongrois et sont acceptées dans le cadre de cette réglementation – y compris sous forme de refrappes. Elles peuvent donc être vendues sans TVA. »
De toute évidence ce rédacteur a un problème de compréhension de la Directive. Ce que je n’ai pas manqué de lui notifier. Mais il ne s’est rien passé, et dix ans plus tard, la situation est inchangée.
Puis récemment, alors que je faisais un peu de ménage dans mes dossiers, j’ai exhumé ces anciennes correspondances avec la direction de la Monnaie autrichienne. Il m’est alors venu à l’esprit une idée pernicieuse. J’avais appris quelques mois auparavant que la Commission européenne s’était dotée d’une officine chargée de recueillir les dénonciations des « lanceurs d’alerte », l’Office européen de lutte antifraude ou OLAF.
La mission de l’OLAF est d’enquêter « sur les fraudes au détriment du budget de l’UE, la corruption et les fautes graves au sein des institutions européennes, et élabore une politique antifraude pour la Commission européenne ».
Or, comment est constitué le budget de l’Union ?
Source: Le budget de l'Union européenne (extrait);
(https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-budget-de-l-union-europeenne/)
La TVA finance donc à hauteur de 12 % le budget de l’UE. L’OLAF est donc légitimement concernée pour se saisir d’une irrégularité dans la perception de la TVA dans un État membre. Sachant que l’UE reçoit pour son budget 0,3 %i de la collecte réalisée par chaque membre de l’Union, un défaut de perception par un membre ampute le budget de l’UE, d’une part, et, par ailleurs, prive ce membre d’une ressource financière importante.
Dans le cas des ventes sans TVA de la Monnaie autrichienne j’ai reconstitué sur les dix dernières années le manque à gagner pour le budget de l’UE à partir des rapports annuels accessibles. Pour être tout à fait exact il faudrait bien évidemment partir de l’année d’adhésion de l’Autriche à l’UE, soit le 1er janvier 1995, un travail de moine que je laisse volontiers aux fonctionnaires bien rémunérés de l’OLAF.
Sur une dizaine d’années, et compte-tenu de l’évolution importante du prix de l’or, le montant total de TVA non collectée est significatif. Il s’élève à un peu plus de 78,3 millions d’euros. Dès lors cette pratique a amputé le budget de l’Autriche de 78 millions d’euros et celui l’UE d’environ 250 000 euros sur cette seule période, ce qui représente 0,12 % de la contribution TVA versée en 2024 par l’Autriche à l’UE.
Contrairement aux montants annuels de TVA qu’auraient pu collecter l’Autriche, cette non-contribution au budget de l’UE est loin de représenter des montants annuels importants. Néanmoins l’administration fiscale ne manque jamais de nous rappeler qu’un sou est un sou lorsqu’il est question d’argent public, dès lors il y a bien là une perte pour le budget de l’UE.
Avec ces éléments je me suis donc prêté au « jeu » du lanceur d’alerte, quand bien même j’avais d’ores et déjà de gros doutes sur l’aboutissement de cette démarche compte tenu du client concerné.
Pour commencer le jeu il faut se rendre sur le site de l’OLAF puis remplir le questionnaire (en moins de 5mn chrono car sinon la session se termine automatiquement). Aucune information sur l’identité du lanceur d’alerte n’est demandée. Néanmoins, et sauf si vous utilisez un excellent VPN, le lieu exact du demandeur sera identifié.
Une fois les éléments donnés le dossier est référencé et le lanceur d’alerte reçoit un code d’identification et un mot de passe de connexion qui lui permettra de revenir sur le site pour connaître l’état d’avancement du sujet qu’il a soumis.
Puis, après quelques jours… en se connectant sur le site le lanceur d’alerte découvre ce qu’il est advenu de l’information qu’il a fournie.
En l’espèce, voici ce qu’est devenue l’information, détaillée, que j’ai communiquée à un « inspecteur » de l’OLAF.
Si comme moi vous aviez cru comprendre que l’OLAF avait pour mission « d’enquêter sur les atteintes, fraudes ou irrégularités, au budget de l’UE », cher lecteur, nous avions tort.
Pour l’UE le montant de 250 000 euros (sur 30 ans celui-ci pourrait se situer dans une fourchette de 350 à 400 000 euros) est sans doute considéré comme insignifiant. En revanche si vous-même deviez en omettre le centième dans votre prochaine déclaration des revenus 2024 préparez-vous à quelques jours difficiles car « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Le cas de l’Allemagne, que j’ai abordé il y a quelques semaines, mériterait également que l’OLAF s’y intéresse. Mais là aussi je suppose que la maxime de Jean de La Fontaine trouverait sa place dans la conclusion. L’administration allemande est un trop gros poisson pour que les filets de l’OLAF puissent le capturer. Ce qui ne fut pas le cas du menu fretin polonais cité dans ce communiqué de victoire de l’OLAF.
Enfin je terminerai cette chronique inutile par un exemple bien français et sans rapport avec l’OLAF. L’action se passe en 2008. L’acteur principal est La Monnaie de Paris. La Monnaie de Paris est un établissement public à caractère industriel et commercial sous tutelle du Ministère des Finances. Un établissement prestigieux bien connu d’une majorité de Français et notamment de ceux qui gravitent autour de la numismatique et des métaux précieux.
En février 2008, je découvrais, tout à fait par hasard, que cet établissement n’appliquait pas l’exonération de TVA pour les produits éligibles à l’or d’investissement. En d’autres termes, depuis 10 ans la Monnaie de Paris percevait illégalement une TVA 19,6 % sur les ventes d’or d’investissement aux dépens de ses clients, en contravention avec la Directive 1998/80/CE du Conseil du 12 octobre 1998, complétant et modifiant la Directive 77/388/CEE (JO L281 du 17 octobre 1998).
La copie d’écran ci-dessous, tirée du site internet de l’époque, affiche ainsi pour une monnaie en euros en or deux prix, un prix hors taxes de 473,24 € pour un achat réalisé par un ressortissant étranger (hors UE), et un prix de 566 € incluant une TVA au taux de 19,6 % pour un contribuable de l’UE.
Note : L’article, monnaie à cours légal avec un titre supérieur à 900 millièmes, est vendu avec un montant de TVA de 92,75€. Le lecteur attentif notera au passage que La Monnaie de Paris utilisait, sans le préciser, une unité de masse, l’once avoirdupois, en lieu et place de l’once troy, unité internationale utilisée pour le commerce de métaux précieux. 1 oz av = 28,3495 g alors qu’une once troy 1 ozt = 31,1035 g.
Cette information ayant été donnée aux responsables de l’établissement ceux-ci affichaient une fin de non-recevoir mettant en avant que les monnaies d’or commercialisées étaient des produits de collection, donc par nature éligibles à la TVA.
De la même façon le Service des impôts (pole-ice Paris 6), considérant également qu’il était question de monnaies de collection allait dans le même sens.
Que personne au sein de la Monnaie de Paris n’ait entendu parler de « l’or d’investissement » était pour moi une surprise mais que l’administration fiscale dont dépendait cet établissement soit au même niveau de connaissance m’avait alors laissé sans voix.
J’ai donc demandé un recours hiérarchique auprès de la direction des services fiscaux de Paris Sud. Cette direction, qui à l’évidence n’avait pas plus connaissance de la directive européenne, s’est alors retournée vers la direction de la législation fiscale (DLF bureau D1) à Bercy en juillet 2008.
Enfin, début septembre 2008 je recevais un courrier de Paris Sud qui en substance donnait cette réponse « l’avis de la direction de la législation fiscale valide votre analyse… » et ajoutant « il est précisé qu’il ressort du dernier alinéa du a du 2° du IV de l’article 256 du Code général des impôts que le régime de l’or d’investissement prime, le cas échéant, sur celui des biens de collection. »
La Monnaie de Paris était bien évidemment aussitôt informée de cette décision mais continuait néanmoins sa pratique jusqu’en 2009. Bien que le directeur financier ait proposé de me rembourser la TVA si j’avais fait un achat (ce qui ne fut pas le cas !) à aucun moment je n’ai vu passer de communiqué de la part de la Monnaie proposant un remboursement de la taxe aux acheteurs ayant été lésés. En outre, je ne doute pas un seul instant que cet établissement tient un registre précis des clients facturés. Une action de remboursement spontané était donc tout à fait possible même si le surplus de travail exigé aurait pu bousculer la routine en place.
Enfin les acheteurs lésés peuvent remercier, pour leur inaction, deux magazines traitant de numismatique auxquels j’avais fourni l’information pour qu’ils la répercutent vers leurs lecteurs.
Sur la base d’un inventaire au 31 décembre 2007 des tirages en or réalisés par la Monnaie de Paris il est facile d’évaluer approximativement le surcoût payé par ces acheteurs :
Sachant que la pratique a continué jusqu’aux premiers mois de 2009 la collecte illégale de TVA par La Monnaie de Paris pourrait se situer autour de 1 400 000 à 1 500 000 €.
Il aura ainsi fallu remonter jusqu’à « Dieu le Père » à Bercy pour décoder une directive de l’UE (Directive 98/80/CE du conseil du 12 octobre 1998) et un article du CGI (Article 298 sexdecies A), deux documents écrits en bon français contemporain – qu’un enfant de première année de primaire est en capacité de comprendre.
Ce n’est pas parce que nous sommes les « misérables » qu’il ne faut pas se battre contre les « puissants ».
---------------o---------------
iUn taux uniforme de 0,3 % est appliqué à l'assiette TVA de chaque État membre, l'assiette TVA imposable étant limitée à 50 % du RNB de chaque pays.