UNE ÉTRANGE DÉCISION DE JUSTICE
Analyse de l’arrêt du Tribunal administratif de Nîmes, 3ᵉ Chambre du 24 mars 2023
Analyse de l’arrêt du Tribunal administratif de Nîmes,
3ᵉ Chambre du 24 mars 2023, 2100552
Contexte :
Le contrôle fiscal a mis en évidence la non-perception de la taxe forfaitaire sur les métaux précieux (TMP) pour certaines cessions.
L’acheteur, la SARL Chrys'Or, étant responsable vis-à-vis du fisc, le redressement porte principalement sur les taxes et cotisations non collectées.
Le texte complet de l’arrêt est ici.
Textes en italique : extraits de l’arrêt et extraits de la législation en vigueur.
Textes non formatés: mon commentaire.
Les arguments de la SARL Chrys'Or
L’administration fiscale a requalifié deux types de transactions réalisées par Chrys'Or auprès de particuliers (rachats) :
l’acquisition d’un lingot en or;
l’acquisition de jetons et de monnaies à cours légal.
Selon Chrys'Or le lingot était un lingot frappé et ayant été ouvré.
“4. La société requérante soutient tout d'abord que c'est à tort que le service aurait appliqué la TFMP au taux de 11,5 %, suite à l'acquisition d'un lingot d'or de 985 grammes intervenue le 26 septembre 2018 pour un montant de 26 555 euros, soit une taxe forfaitaire sur les métaux précieux (TFMP) de 3 054 euros. Elle précise que le lingot d'or acquis ne saurait être qualifié de brut, eu égard au nombre d'opérations effectuées pour aboutir à sa production, et dès lors qu'il a été créé selon un procédé industriel de matriçage, lequel nécessiterait la réalisation de plusieurs étapes. Ledit lingot doit selon la société être qualifié " d'autre ouvrage en métaux précieux ", imposable de la même manière que les bijoux et assimilés, soit au taux de 6,5 %.”
Dès lors il ne rentrait pas dans la définition de “métaux précieux” selon l’article 30 de l'instruction fiscale BOI-RPPM-PVBMC-20-10 du 31/12/2018 (et non pas la référence donnée dans l’arrêt du tribunal !), qui précise : “Pour l'application de la taxe, ces articles sont à retenir qu'ils soient à l'état natif, à l'état brut (barres, masses, lingots), à l'état de produits semi-ouvrés (feuilles, poudre, plaques, fils, tubes), ou à l'état de résidus.”
Mettant en avant le caractère ouvré de ce lingot, Chrys'Or, a classé ce lingot ouvré selon la définition donnée dans l’article 60 de la même instruction fiscale précisant : “Les objets d’or et d'argent travaillés sont classés parmi les bijoux et assimilés, par analogie avec la bijouterie, et ne relèvent donc pas de la catégorie des métaux précieux”.
S’agissant des pièces, Chrys'Or a utilisé les définitions données par l’article 20 (5e alinéa) de cette instruction fiscale à savoir : “ Les métaux précieux sont définis par la législation qui leur est propre. Il s'agit, en pratique, des articles suivants : […] - monnaies d'or et d'argent postérieures à 1800. Les autres monnaies d'or et d'argent sont considérées comme des objets de collection (cf. I-B-3 § 70).”. Ces pièces, jetons ou médailles et monnaies à cours légal, n’entrant pas dans cette définition, l’article 60 s’applique.
Pour sécuriser ce choix, Chrys'Or a pris la précaution prendre et d’archiver des photos des pièces en question:
“La requérante ajoute que les transactions conclues avec Mme E, Mme C et Mme D porteraient sur des bijoux comme en attesteraient les photos produites à l'instance. La société précise encore que, dans le cadre de la proposition de rectification, les pièces sont très majoritairement désignées comme étant des "médailles ", terme qui ne peut renvoyer qu'à des bijoux exonérés de TFMP lorsque le prix de cession est inférieur à 5 000 euros. Elle estime que les photographies transmises permettent parfaitement d'identifier les pièces à cours légal (krugerrand, souverain, britannia) et que les pièces sont également identifiables dans la mesure où elles seraient référencées dans le registre tenu par la société.”
Les arguments du rapporteur du tribunal
Concernant le lingot l’arrêt précise :
“Toutefois, en l'absence de toute pièce produite à l'appui de ses allégations permettant au tribunal d'apprécier la spécificité et notamment le façonnage du lingot en litige, il ne résulte pas de l'instruction que le lingot en cause devrait être qualifié d'" ouvrage en métal précieux " pour l'application du taux réduit de la TFMP.”
En d’autres termes, le tribunal rejette la possibilité que ce lingot puisse être ouvré sur le seul motif qu’aucune preuve ne lui a été apportée.
Mais où trouve-t-on dans la littérature de l’administration fiscale l’obligation de produire une photographie pour chaque rachat d’objet précieux ? NULLE PART.
Dès lors, à qui devrait profiter le doute ? in dubio pro reo.
Lorsqu’il est question des pièces, les photographies de celles-ci ont été produites. Est-ce suffisant ? Lisez :
“6. La requérante se limite à produire au soutien de ses prétentions un échantillon de photographies des objets en litige, sans preuve de la date et du lieu de ces prises de vue, et sans les assortir d'un inventaire accompagné d'un certificat d'authenticité ou encore d'une attestation d'expert établissant le détail et la nature exacte de chacun des bijoux, pièces et jetons dont la consistance est contestée par l'administration fiscale. Dans ces conditions, le caractère erroné de la qualification retenue par le service ne résulte pas de l'instruction. La SARL Chrys'Or n'est par suite pas fondée à soutenir que l'intégralité des pièces en litige devraient être qualifiées de jetons, de bijoux ou de pièces à cours légal, exonérés de taxe lorsque le prix de cession est inférieur à 5 000 euros et imposés au taux de 6,5% lorsque le prix excède ce montant.”
Et bien non ! Non seulement il faut produire des photographies mais aussi préciser le lieu de la prise des images, la date, et faire expertiser, obtenir des certificats d’authenticité, etc.
Conclusion
Ce jugement réécrit l’instruction fiscale sur les obligations faites aux professionnels du commerce de métaux précieux.
Par ailleurs, cette décision remet en cause le métier même de commerçant en métaux précieux en déniant aux commerçants toute expertise pour apprécier les produits achetés. Ils achèteraient donc en aveugle n’importe quoi ? Dès lors à quel genre d’expert doivent-ils faire appel ? Cet expert doit-il rester à demeure dans le commerce pour donner son avis à chaque rachat ? Grotesque !
Au passage il faut noter que, dans les deux cas, le juge ne remet pas en cause le classement en catégorie fiscale des “Bijoux et assimilés” revendiqué par Chrys'Or, mais arrête sa décision sur le seul argument qu’il ne peut juger en l’absence de preuve. Or en l’absence de preuve, le doute profite au justiciable.
ON MARCHE SUR LA TÊTE !